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Psychologie d'une soirée alcoolisée...


Il est assez pathétique d’observer les gens qui boivent de l’alcool en soirée, lors du grand rituel de la socialisation. Le spectacle débute toujours avec de bonnes intentions, des attentions diverses et de la politesse codifiée, pour mieux préparer les festivités, les dépassements et les abus bien personnels. Pour cela il faut entretenir l’espoir d’une déchéance lente mais certaine, et savourer chaque verre qui passe comme des vaches qui regardent passer les trains.

Il est assez pathétique d’observer les gens qui boivent de l’alcool en soirée, lors du grand rituel de la socialisation. Le spectacle débute toujours avec de bonnes intentions, des attentions diverses et de la politesse codifiée, pour mieux préparer les festivités, les dépassements et les abus bien personnels. Pour cela il faut entretenir l’espoir d’une déchéance lente mais certaine, et savourer chaque verre qui passe comme des vaches qui regardent passer les trains.


On ressent alors progressivement le venin telle la morsure du black mamba d’Afrique qui lentement fait son effet, et sûrement aussi. Mais c’est que la souffrance ça habille monsieur, ça enveloppe l’âme de mille sourdines, ça évite de se retrouver nu. On peut y voir toutes les sincères motivations. Chacun allant de son propre élan, de son besoin d’être modifié, bien altéré, désinhibé, contrôlant peu, pour repartir tout conquérant ou bien déchu.


Chez certains ça frôle la névrose et l’envie d’en découdre au plus vite. Alors que chez d’autres, c’est plus subtil et moins flagrant. Ça concourt pareillement au besoin de s’anéantir. La souffrance trouve toujours ses compensations, c’est vrai, ça se voit bien, faudrait être aveugle.



Il y a la forme, et puis il y a le fond dans la soirée alcoolisée. Cela débute toujours doucement et gentiment. Puis le débit s’accélère inévitablement sous l’effet de la substance enivrante, comme dans une valse à trois temps qui ferait des siennes, pour laisser toute la place aux effets désirés, à toutes les imprécisions et les approximations. On cherche la sincérité dans les propos. On s’efforce bien. Mais ce n’est pas tout à fait crédible. On est trop plein de soi-même. Ça fausse la donne. Les décibels aussi doivent être de la partie, et bien trouver leur place, tout en rivalisant avec le besoin de s’affirmer et d’exister toujours un peu plus aussi. On se préoccupe peu de la politesse. On se coupe la parole pour imposer son style et son ego tout émoustillé, tout habillé de pâle. On tente de se faire une place au centre des divagations et de l’action stérile, comme il se doit. On est tout plein d’entrain, d’inattention et de tournis. C’est la valse à quatre temps.


La conversation se banalise ensuite. Elle se répète puis s’entrecoupe. On s’accompagne de l’autre pour bien être pareil, solidaire et vaseux en même temps. Cela permet de fraterniser, superficiellement. #onsebourrelagueule. C’est à celui qui parle le plus fort et le premier. C’est aussi à celui qui court le plus vite, et puis qui tient le relais aussi longtemps que possible. Ça ne demande plus aucun charisme, juste un certain sens du débit. Cela a tout de l’évangéliste du septième jour, ou du patron de bar tabac. Tout est dans l’art de passer en force, dans l’autorité vulgaire.


Le bon sens et l’élégance ne sont plus de mise, plus tout à fait fonctionnant ni bien opérationnels. On se contente de tourner autour du même sujet, de le fatiguer, de l’avoir à l’usure. C’est déjà ça. Ce qui est déversé importe peu à ce stade. On passe ainsi toute une soirée à se répéter et se répandre aussi. On cherche la reconnaissance. On est là pour le manège, la sensation et la distraction. Certains choisissent le saut à l’élastique alors que d’autres préfèrent laisser leur tour au plus offrant, au plus désespéré, au plus ambitieux. À chacun sa méthode et sa discipline. Il n’est plus question de mesure. On y est pour la quête du grand frisson. C’est la grande débâcle.


Puis on en ouvre une énième de bouteille. Encore un petit verre et je va… C’est pour la route, pour en finir une fois pour toutes. On se trouve désormais dans un hall de gare d’où résonnent tous les échos du monde et où tout s’entrechoque, se télescope, se bouscule et se disloque. Peu importe, on n’est plus là pour enfiler des perles. Ça passe ou ça casse. La subtilité des choses fait désormais place à la vulgarité du vacarme et des instincts de mort. On entre alors dans la grande corrida. Le matador prépare son coup d’épée fatal. La foule réclame du sang. Les spectateurs sont à genoux. On n’a même pas le luxe de prendre un petit dernier car tous les stocks sont épuisés, dilapidés, déjà partis tout en fumée. Ils ont été trop vite consommés, et sans intimité. On a bien gardé ses distances. On n’a fait que survoler l’endroit sans pouvoir créer grand-chose. On y était pour s’écouter parler. Mais c’est tout à recommencer. On le fera plus tard, quand on aura retrouvé ses esprits.


On est content quand on a réussi bon an mal an à garder sa dignité bien intacte et qu’on n’a pas trop vacillé, ni titubé. On est rassuré quand on ne s’est pas trop dégoûté et qu’on n'a pas dit que des conneries non plus. Ça serait fâcheux dans une si belle soirée n’est-ce pas ? On peut alors espérer retrouver le chemin de son lit pour coucher sa bidoche tout imprégnée d’étuves et de relents. Il est grand temps de faire place aux ronflements âpres et sonores, semi-libérés, d’une conscience en berne, désactivée. Mais tout s’arrange déjà, je chante et je suis gai. Ami rempli mon verre, ami rempli mon verre…



Il est des soirs où les sifflets des cordages au vent refoulent les odeurs de la nostalgie et du désespoir. On voudrait alors raconter de belles histoires. On le fera plus tard, quand il n’y aura plus personne…

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